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Pièce 7107

PRÉSENTATION

Type

Pièce

Titre

Au treschrestien Roy François premier de ce nom

Incipit

Si la faveur que porte ta nature

Langue

Français

Genre

Epitre dédicatoire (Vers)

Commentaire

Signée de la devise "Moins et meilleur"

Statut fiche

Terminé


TRANSCRIPTION SCRIPTA MANENT

❧ Au Treschrestien Roy François premier de ce nom

Si la faveur que porte ta nature
Aux gens lettrez, et leur literature
N’estoit assez notoire envers chacun,
Roy qui n’as roy audessus de toy qu’un,
Je ne pourroye à peine m’exenter
L’avoir mespris, en venant presenter
A ta hauteur mes Poeticques carmes,
En ce temps cy que Mars par ses allarmes
Vient faire guerre aux gracieuses Muses :
Et de despit qu’à elles tu t’amuses,
A tout effort veut tenir en souffrance
Et en desroy ta tresloyalle France,
Et toy qui es des lettres le vray pere :
Et par cela il s’attend et espere
Que les lettrez n’ayans plus de secours,
Aussi n’auront les lettres plus de cours.
Mais c’est à luy trop avant entrepris,
Vouloir gaigner par dessus toy le prix,
Sus toy qui es du plus haut Ciel parti
Pour soutenir des lettres le parti,
Et que les Dieux par accord resolu
En ces bas lieux establir ont voulu
Le gouverneur et chef de cest affaire.
Dieu de fureur, doncques que veux tu faire ?
Veux tu tenir ton courage odieux
Seul alencontre, et malgré tous les Dieux ?
Veux tu deffaire une puissance telle ?
Veux tu destruire une chose immortelle ?
Car tu saiz bien que du Ciel supernel
Il ne vient rien qui ne soit eternel :
Avec cela les Muses sont celestes :
C’est doncq’ en vain qu’ainsi tu les molestes.
Il est bien vray que crainte tu leur donnes,
Car est il rien, o Mars, que tu n’estonnes ?
Mais à la fin, quoy que les armes portes,
Elles seront contre toy les plus fortes,
Non au moyen de hache ny armet,
Car leur dousseur cela ne leur permet :
Mais comme un feu qu’un temps le tison couvre
Plus grand’ clairté par le tison recouvre,
Ainsi sera ta force consumee,
Et leur vigueur de ton feu allumee :
Dont plus sera leur honneur approuvé,
Apres avoir un ennemy trouvé,
Qui les voulant desconfire et abbatre,
Soit mis à bas par elles sans combattre :
Ou s’elles sont par tes fieres atteintes
De se defendre à port d’armes contreintes,
Leur Roy sera pour elles plus vaillant
Que ne seras contre elles bataillant :
Et tant plus forte il verra la rencontre,
Plus sera prompt de tenir alencontre :
Lors tu verras sa force suffisante
Pour soustenir ta malice nuisante,
Pour repousser tes furieux assauz,
Et pour donter tes soudars et vassauz,
Et quand et quand nonobstant ta rigueur,
Pour maintenir les Muses en vigueur,
Et en honneur élever leurs suppostz.
O Roy François, je romps à Mars propos,
Ma Muse s’est à ce destour induitte,
Transport d’esprit jusqu’icy l’a conduitte,
Et en transport ta grandeur a louee,
En esperant de toy estre avouee,
Et mesmement qu’avecques cest aveu
Exausseras son favorable veu :
Et se promet par un heureux presage
Ceste faveur qu’on lit en ton visage :
Dont elle ayant un coup l’esprouve faitte
De ses labeurs se tiendra satisfaitte.
Et parainsi, affin qu’elle se sente
De ce grand heur, à toy elle presente
Un sien escript qui d’Homere est issu,
Et dont le mot, sans plus, ell’a tissu,
Ainsi que sont Traducteurs coustumiers :
Sont, en effet, les deux livres premiers
De l’Odyssee en maternel langage,
Qu’elle te prie accepter pour le gage
Du demeurant, que faire el’a desir
S’elle congnoit que tu pregnes plaisir
A voir sa veine et son style escouter.
Tu as voulu pour Homere gouster,
Faire en François l'Iliade traduire,
Dedens laquelle un Achille on voit luire
De hardiesse et d’armes le vray trait :
En l'Odyssee un Ulysse est protrait
De sapience et ruse l’exemplaire :
Achille est tel que rien ne luy peut plaire
S’il ne l’obtient par armes et puissance,
A toutes loix il nie obeissance,
Il est si fort, si violent, et chaud,
Que de conseil ny de temps ne luy chaut :
Ulysse aussi comme luy entreprend,
Mais avec soy lieu, temps et conseil prend :
Et s’il ne peut gaigner le prix en guerre,
Il sait tresbien par ruse le conquerre :
Il est pourveu de toute invention
Pour parvenir à son intention :
Il sait cacher au dedens son secret,
Et l’autre non, si ce n’est à regret :
Car à tous coups son courroux et son ire
Dedens sa face ardente se peut lire,
Et fors que soy tous aversaires donte,
Cestui soymesme et tous autres surmonte :
Brief, tous les deux à leurs moyens parvienent,
Et pour un but deux chemins divers tienent.
Mais si on peut par bon moyen aucun
Faire des deux tant que ce ne soit qu’un,
Et si on peut ensemble bien lier
Un homme sage et un preux Chevalier :
(Car bien qu’en toy se trouvent tous les deux,
Les autres ont à grand’ peine l’un d’eux)
Lors de combien ceste puissance unie
Pourra l'on voir plus forte et mieux munie,
Si qu’elle soit de toute autre invincible ?
Certainement cela est bien possible :
Car si on voit en deux livres traduiz
Fidelement tous les deux introduiz,
Les Chevaliers nobles de ton Royaume
Qui sont appris à l’espee et au heaume,
Quand par escrit les deux contempleront,
Facilement les deux ressembleront,
Tant qu’on verra en un seul personnage
Un preux Achille et un Ulysse sage :
Pourveu qu’un peu d’Ulysse la froideur
Veuille d’Achille amoderer l’ardeur.
Le grand Monarque Alexandre tenoit
Tousjours Homere, et par cueur l’apprenoit :
Qui sus les vers de ce Poete enquis
Lequel de tous luy sembloit plus exquis,
Vint alleguer un vers qui porte en somme,
Sage en ses faitz, au combat hardi homme.
Bien avoit il le jugement certain,
En appouvant ce vers digne et hautain,
Qui tient en brief la sustance et matiere
De l'Odyssee et l’Iliade entiere.
Doncq’ pour le tout à meilleur effet rendre,
Cestui ouvrage ay voulu entreprendre :
Non qu’il n’y ait en France des espriz
Par lesquelz soient telz œuvres mieux escriz :
Mais tout le but, tout le point où je tens,
C’est de trouver le moyen et le temps
De mettre avant par vouloir serviable
Quelque œuvre mien qui te soit aggreable :
Car quand je voy tant de gens qui escrivent,
Et qui vers toy de toutes pars arrivent,
Il m’est avis que si leurs rengs ne tien,
Digne ne suis de m’avouer pour tien :
Et m’est avis, si je m’adresse à toy,
Qu’ainsi comme eux tien dire je me doy.
Te plaise doncq’ doussement recevoir
Ce que je t’offre, en faisant mon devoir
Et mon effort, que l'on voye dressee
Une Iliade avec une Odyssee.
J’ay voulu les Epithetes mettre,
En ne voulant d’Homere rien omettre :
Et m’a semblé sur ce, qu’en les ostant
Hors du François, ce seroit tout autant
Que s’on ostoit d’iceluy mesme livre
Habitz, bancquetz, et manieres de vivre,
Qui japieça sont d’usage estrangees,
Et en façons bien diverses changees :
Mais il convient garder la majesté,
Et le naif de l’ancienneté,
Pareillement exprimer les vertuz
Des adjectifz dont les motz sont vestuz,
Et bien garder en son entier l’obget
De son Autheur, auquel on est suget.
Icy voit on la merveilleuse suite
Du grand Homere en tresbon ordre instruitte :
Car il premet un modeste proesme,
Et par degrez il hausse son Poesme :
Il met en jeu un jeune adolescent,
Lequel entant qu’à tel age est decent,
Et à un filz issu de noble race,
Il fait courtois, sage, et de bonne grace :
Et qui s’en va par l’instinct de Pallas
Chercher Nestor le sage, et Menelas.
Consequemment son haut savoir déploye.
Et à descrire un Ulysse il l’employe.
Lors d’un grand style il descrit ses erreurs,
Et de la mer les gouffres et horreurs,
Scylle, Charybde, et les autres perilz,
Par lesquelz sont ses compagnons periz,
Les uns par eau, les autres par les mains
Du Lestrygon, et Cyclop inhumains :
Puis il descrit de Circé les venins,
Et d’elle après les traittemens benins :
Après, Ulysse aux Enfers est allé,
Où aux Espriz et ames a parlé :
Finablement en sa terre venu,
De ses amis a esté mécongnu.
Et a fallu par combat proceder
Ainçois qu’ait peu sa maison posseder :
Puis ayant fait des ennemis veng’ance,
De tous ses maux il a eu alleg’ance.
Voyla en brief d’Ulysse le discours,
Voyla comment par un successif cours
Le grand Homere en tel ordre tout rend,
Que d’un ruisseau fait naistre un grand torrent :
Ma Muse aussi qui dresse ses apprestz
Pour exprimer Homere de bien près,
Espere bien par succession croistre,
Si tu luy fais ta faveur apparoistre.
Moins et meilleur.
Source
Copiste

Claire Sicard


ATTESTATION (1 édition)

Liminaire dans Peletier du Mans Jacques, Les Oeuvres poetiques de Jacques Peletier du Mans. Moins, et meilleur, Paris, Vascosan Michel de, Corrozet Gilles, Du Pré Galliot I, 1547, f. 3 r° - f. 6 v°


PERSONNES (2 citations)

s'adresse à François Ier (12 Sep 1494-31 Mar 1547)

mentionne François Ier (12 Sep 1494-31 Mar 1547)


POUR CITER CETTE FICHE

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Claire Sicard et Pascal Joubaud, Notice Texte 7107, Scripta Manent, état du : 07 décembre 2024